Fraise bio, fraise au naturel
Fraise bio, fraise au naturel
St. Pétersbourg, 2003. Assise à la table de la cuisine, Natacha, la cinquantaine, me fait corriger ses devoirs de français. Dehors il fait déjà nuit, mais sous ces latitudes ça ne veut pas dire grand chose. Derrière le fin rideau de neige, les grands immeubles se ressemblent tous.
Elle pose devant moi une assiette de petits canapés ronds: délicieux !
Natacha vient d’Odessa. Je ne sais plus depuis combien de temps elle habite en Russie, alors pour ne pas mettre davantage d’huile sur le feu, appelons ces courgettes « soviétiques ».
courgettes – ail – mayonnaise – un peu de farine – huile
Couper les courgettes en tranches de l’épaisseur d’un doigt, les rouler dans la farine et les dorer dans l’huile, à feu pas trop fort pour qu’elles aient le temps de devenir bien fondantes.
Disposer les rondelles sur un plat et laisser refroidir.
Emincer l’ail très fin: pour la quantité, c’est selon les goûts et les impératifs sociaux. Mélanger l’ail avec la mayonnaise et en tartiner généreusement les courgettes.
Servir froid, avec un thé noir ou de la vodka.
Edit, 14.10.16: à la lecture du livre de Wladimir et Olga Kaminer, La Cuisine totalitaire, je tombe sur cette même recette au chapitre « Russie du Sud » (courgettes à la mayonnaise) !
Paon (Tierpark Hellabrunn, Munich), Eléphant (Tierpark Hellabrunn, Munich) et Vigognes (Walter Zoo, Gossau) photographiés par mon Fed-5 (ФЕД-5) et passés au scalpel.
Un clin d’oeil très modeste à Alfons Alt et plus particulièrement à son livre « Bestiae »
J’avais besoin de prendre l’air, de passer deux jours seule, alors j’ai pris le train de nuit pour Zagreb.
J’ai arpenté les rues, les escaliers et les parcs. Je me suis abritée de la neige dans des cafés. J’ai acheté de l’huile de lavande au marché Dolac. J’ai ri jaune au Museum of Broken Relationships, j’ai été séduite par le Croatian Museum of Naïve art. Je suis rentrée dans l’échoppe d’un bouquiniste, je crois bien que c’était dans la rue Skalinska,
je, je, je, je, je,
et voilà que je tombe sur un livre de Slavenka Drakulić, parlant de cette époque où le nous remplaçait le je:
« How we survived communism and even laughed »
Dans ce livre paru en 1991, l’auteure part à la rencontre des femmes vivant dans différentes républiques de l’Union soviétique. Sur la base de ces entretiens et de ses propres souvenirs, elle dépeint la face cachée du communisme, loin des assemblées politiques et des discours des hommes: la (sur)vie des femmes à qui incombe au bout du compte de se procurer papier toilette et repas du soir. Tout en restant féminines et apprêtées.
(…) I was to give a paper on the same subject: Women in Eastern Europe. But before I started my speech, I took out one sanitary napkin and one Tampax and, holding them high in the air, I showed them to the audience. « I have just come from Bulgaria, » I said, « and believe me, women there don’t have either napkins or Tampaxes – they never had them, in fact. Nor do women in Poland, or Czechoslovakia, much less in the Soviet Union or Romania. This I hold as one of the proofs of why communism failed, because in the seventy years of its existence it couldn’t fulfil the basic needs of half the population. »
Slavenka Drakulić (1949), How we survived communism and even laughed
Petite parenthèse un poil abrupte pour promouvoir une bonne alternative à ce « problème » (rien à voir avec le communisme, même si on reste dans la couleur).
Pour revenir à ce livre, je l’ai dévoré dans le train de nuit qui me ramenait chez moi. Il m’a réconcilié avec beaucoup de choses, même si je ne saurais dire précisément avec quoi. Il n’est malheureusement pas traduit en français, mais il est écrit dans un anglais fluide et très abordable.
L’enthousiasme ne va pas toujours de pair avec l’exactitude: cet article est écrit par une débutante en japonais et a pour but de partager ses « ohhh » et ses « ahhh ». 日本語の先生、si vous passez par là, vos remarques et corrections sont bienvenues !
Les kanjis japonais sont les idéogrammes venus de Chine, qui servent à transcrire une bonne partie du vocabulaire. Une terminaison écrite en alphabet japonais (hiragana) vient souvent les compléter.
C’est le plat de résistance de l’étude du japonais: les reconnaître, les écrire et les prononcer car, ne boudons pas notre plaisir, ils ont la plupart du temps plusieurs prononciations…
Comme tous les moyens sont bons pour les dompter, voici mes petites stratégies visuelles:
me fait penser à quand on gratte le ventre d’un chien
et signifie agréable, joyeux (楽しい tanoshii).
me fait penser à une tombe
et signifie vieux, ancien (古い furui).
!! Ne s’applique pas aux personnes (ouf) !!
me fait penser à de l’herbe
et c’est bien à quoi cela fait référence, mais ce signe n’est jamais utilisé en temps que kanji seul: il s’agit d’une « couronne » qui permet de composer des kanjis plus complexes.
Il est toujours intéressant de déconstruire les kanjis « composés » et de découvrir les associations d’idées qui se cachent derrière.
Par exemple, quand on combine « herbe » et « agréable »,
cela signifie médicament, remède (薬 kusuri)
et en combinant « herbe » et « ancien »,
on obtient pénible, douloureux (苦しい kurushii) ou amer (苦い nigai)
A quoi bon avoir de la culture si on ne peut pas l’étaler…
La prochaine fois que vous avez entre les mains un paquet de thé japonais (ou chinois, ça marche aussi), épatez vos amis: montrez-leur le mot « thé », c’est celui avec la couronne « herbe » !
Vous l’avez repéré ?!
« В час жаркого весеннего заката на Патриарших прудах появилось двое граждан. »
Михаил Афанасьевич Булгаков (1891-1940), Мастер и Маргарита
« C’était à Moscou au déclin d’une journée printanière particulièrement chaude. Deux citoyens firent leur apparition sur la promenade de l’étang du Patriarche. »
Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), Le Maître et Marguerite
ouvrir Google Earth
chercher Moscou (Москва)
repérer l’ensemble de grands boulevards formants un anneau autour du centre-ville
chercher l’étang du patriarche (Патриаршие пруды), plan d’eau rectangulaire bordé d’arbres situé entre dix et onze heure sur le bord intérieur de cet anneau (en language scout et non de science-fiction)
flâner parmi les photos au bord de l’étang et peut-être retrouver celle qui m’a servi de modèle
passer sur street view et, en partant du nord, faire le tour de l’étang dans le sens des aiguilles d’une montre: chercher le café Strudel, un homme torse nu devant une camionnette blanche, faire reculer une voiture rouge (magie d’internet) et c’est au croisement de Ermolaevskiy pereulok (Ермолаевский переулок) et Malaya Bronnaya Ulitsa (Малая Бронная улица), là-même où Mikhaïl Alexandrovitch Berlioz perd la tête à la fin du chapitre trois, que notre petit tour s’achève
« Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas. Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur du papier blanc; ce sont des forces; elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dévident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraîne, telle ligne subjugue. Les idées sont un rouage. Vous vous sentez tiré par le livre. Il ne vous lâchera qu’après avoir donné une façon à votre esprit. »
Victor Hugo (1802-1885), Proses philosophiques
« On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. »
Nicolas Bouvier (1929-1998), Le Poisson Scorpion
Engrenage, prenez garde, mord, essore… Quand je relis ces deux citations, je m’étonne de voir tant de mots à priori négatifs m’enchanter. J’aimerais partager ici ce que m’évoquent livres et voyages, hors des analyses littéraires et des attractions touristiques; faire vivre les mots par des images, des saveurs et imaginer des voyages.
Cela aurait dû être un premier article sur la fabrication du papier, mais force est d’avouer que les résultats n’étaient pas à la hauteur de mes (folles) espérances. J’ai dû louper quelque chose, affaire à suivre… mais en attendant, un test de Rorschach et l’art d’accommoder les restes.
A quoi cela vous fait-il penser ? Le choix du fond rouge est fortuit, mais peut servir d’indice…
Tic Tac
Tic Tac
Tic Tac
(ce n’est pas un crocodile)
Tic Tac
Tic Tac
Un coucou suisse, voilà bien la seule trace de chauvinisme que je m’accorderai durant ces semaines d’Euro 2016 !
(rendons à César ce qui est à César: les « Kuckucksuhr » sont originaires d’Allemagne, et la dentelle de St. Gall)
Dans l’émission CQFD de la RTS du 05.05.2016, « A la découverte du langage des baleines », un spécialiste de la bioacoustique des cétacés a lâché une info qui m’a fait frétiller:
Il semblerait que les dauphins se donnent des noms !
D’une durée variant d’une demi à deux secondes, cette signature sonore se compose du nom de la mère, du nom du groupe auquel le dauphin appartient et enfin du prénom de l’individu.
Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir une blague rhétorique pas drôle:
Quelle est la différence entre un russe et un dauphin ?
Le russe hérite du prénom de son père (son patronyme, Vladimir Vladimirovitch par exemple), le dauphin de celui de sa mère (matronyme).
Notons que le dauphin est sur ce coup-là le plus pragmatique, la mère étant rarement putative (rien d’insultant). Les islandais quand à eux laissent libre choix entre patronyme ou matronyme, voire un nom basé sur le prénom du grand-père si le père biologique est inconnu.
C’est en cherchant ensuite combien il y avait de potentiels Vladimir Facteurovitch que je suis tombée sur cet article qui met fin à une légende urbaine de façon convaincante.
Pour revenir à nos dauphins, plus de détails dans un article en français, et un en anglais.
Qui n’a jamais rêvé d’être un dauphin…