Étape n°5: Shinshinotsu – Embouchure de l’Ishikari, 50 km
Dernière étape de notre descente de l’Ishikari, qui se jette dans la mer au nord de Sapporo.
On file plein sud jusqu’à la ville d’Ebetsu. Retour à la vie citadine et retour aux bonnes habitudes, il nous faut une librairie, un parc et un petit restaurant pour ce début de journée: Ebetsu Tsutaya Books, Moerenuma Park, 鳥ぶじ (un restaurant de yakitori).
Derniers mètres de l’Ishikari, et pour l’accompagner jusqu’au bout, nous allons jusqu’à la pointe nord du parc Hamanasu no oka. Hamanasu, littéralement aubergine de rivage: voilà qui donne faim ! Les allemands l’appellent d’ailleurs la rose patate (Kartoffel-Rose). En français, on trouve l’expression tomate de plage, outre ses noms moins gourmands de rosier rugueux ou rosier du Japon. Oka signifie quelque chose comme la colline: n’ayez crainte, amis cyclistes, c’est une colline bien plate, mais elle est paraît-il venteuse et comme tout bon tour à vélo s’achevant en bord de mer, les derniers kilomètres se feront avec un vent de face !
La série des poissons illustrants des poèmes et sur pause: il faudra attendre juillet pour de nouveaux dessins. En attendant les traductions s’empilent, et j’entame une nouvelle série d’illustrations rapides, inspirées par des photos prises dans la ville (et qui me font penser de près ou de loin à Akhmatova).
Entre P&P 17 et Akhmatova 19, il manque le numéro 18: il s’agit du poème Le saule (Ива), qui me ferait presque pleurer, tant il me donne du fil à retordre.
Маяковский в 1913 году
Я тебя в твоей не знала славе, Помню только бурный твой рассвет, Но, быть может, я сегодня вправе Вспомнить день тех отдаленных лет. Как в стихах твоих крепчали звуки, Новые роились голоса… Не ленились молодые руки, Грозные ты возводил леса. Все, чего касался ты, казалось Не таким, как было до тех пор, То, что разрушал ты, – разрушалось, В каждом слове бился приговор. Одинок и часто недоволен, С нетерпеньем (?) торопил судьбу, Знал, что скоро выйдешь весел, волен На свою великую борьбу. И уже отзывный гул прилива Слышался, когда ты нам читал, Дождь косил свои глаза гневливо, С городом ты в буйный спор вступал. И еще не слышанное имя Молнией влетело в душный зал, Чтобы ныне, всей страной хранимо, Зазвучать, как боевой сигнал.
Maïakovsky en 1913
Je ne te connaissais pas au temps de ta gloire, Mais je me souviens de tes fougueux débuts, Et peut-être suis-je quand même en droit ce soir D’évoquer un jour de ce temps révolu. Comme dans tes vers, les sons montaient crescendo, Ce brouhaha fourmillait de voix nouvelles… Toi, tu bâtissais de monstrueux échafauds Et tes jeunes mains s’affairaient de plus belle. Tout ce qui autrefois avait pu te toucher Ne t’émouvais plus de la même façon, Ce que tu avais assailli gisait brisé, Chaque mot portait une condamnation. Être solitaire et rarement satisfait, Tu pressais le destin avec impatience En sachant que bientôt, joyeux, tu t’en irais Libre d’aller mener ton combat immense. Et déjà c’était la marée qu’on entendait, Le bruit du ressac, quand tu lisais pour nous, La lune en colère avec ses yeux qui louchaient, La ville sur qui s’abattait ton courroux. Ton nom que personne encore ne connaissait Vola soudain dans l’air lourd, tel un éclair, Et aujourd’hui chéri par le peuple au complet On l’entend résonner comme un cri de guerre.
Anna Akhmatova 3-10 mars 1940
Pieds: 12/11 (original: 10/9) Vers croisés
J’ai choisi, une fois n’est pas coutume, d’ajouter deux pieds à l’original: mal m’en a pris, le résultat est passablement indigeste. Le pauvre Maïakovski méritait mieux que ça!
Maïakovski: son nom reste pour moi celui de ma rue, de ma station de métro. Voilà pourquoi il se retrouve illustré par des pavés disjoints.
Maïakovski, avant d’être le nom d’une rue, était l’auteur d’un livre en russe que grand-papa avait sorti d’une armoire: Любовь – это сердце всего. L’amour – c’est le cœur de tout, ou Amour – au coeur de tout: libre à moi d’inventer le titre en français, vu qu’il n’est pas encore traduit. Il s’agit de la correspondance amoureuse du poète avec Lili Brik. Je ne pouvais pas encore le lire à l’époque, mais il attend patiemment son heure dans ma bibliothèque: cette année sera-t-elle la bonne ?
Pour une journée multi-transports sur les sentiers battus, prendre le train pour Salerne, le ferry pour Amalfi puis le bus pour Ravello. Retour dans le même sens.
Goûter à l’art divinatoire dans un haut lieu du passé, une expérience rendue possible pour un euro seulement à Paestum, grâce à une Boccadella Verità opportunément placée devant les boutiques de souvenirs.
J’avais décidé de prendre comme fil conducteur l’horloge organique de la médecine traditionnelle chinoise. Et comme protagonistes, plus ou moins les mêmes petits bonhommes que la dernière fois.
Le tout sera scanné plus proprement une fois l’expo à Winterthur terminée.
Уже целовала Антония мертвые губы, Уже на коленях пред Августом слезы лила… И предали слуги. Грохочут победные трубы Под римским орлом, и вечерняя стелется мгла. И входит последний плененный ее красотою, Высокий и статный, и шепчет в смятении он: «Тебя – как рабыню… в триумфе пошлет пред собою…» Но шеи лебяжьей все так же спокоен наклон.
А завтра детей закуют. О, как мало осталось Ей дела на свете – еще с мужиком пошутить И черную змейку, как будто прощальную жалость, На смуглую грудь равнодушной рукой положить.
Cléopâtre
« Une ombre douce recouvrit Le palais d’Alexandrie. » Pouchkine
Déjà elle avait embrassé les lèvres mortes d’Antoine, Déjà elle avait aux pieds d’Auguste versé ses pleurs… Grondants sous l’aigle romain, les trompettes de la victoire, La nuit qui tombe et elle, trahie par ses serviteurs. Entre alors le dernier homme que sa beauté a ravi, Grand et fort, il ne peut dans son trouble que murmurer: « Toi, comme une esclave… menée en triomphe devant lui… » Mais le long cou de cygne reste calme et penché.
Demain ses enfants seront enchaînés. Oh, c’est tout le peu Qu’il lui reste ici-bas – prendre avec l’homme un ton badin, Et d’une main indifférente, comme un cadeau d’adieu, Déposer un serpent noir sur le bronze de son sein.
Anna Akhmatova 7 février 1940
Pieds: 15/14/…/15/13//15/14/15/14 Vers croisés
Heureux hasard, le dernier poisson de la série est le poisson-ange royal (ou poisson-ange duc): parfait pour Cléopâtre. Qui plus est, sa robe ne fait-elle pas penser aux traits de khôl, qui soulignaient les yeux de madame ? Khôl, dérivé de l’araméen khulā: bingo, c’est quasi le nom (kula) de notre poisson-ange (kokaamas) en divehi !
Akhmatova prend un peu de liberté sur la rime des vers 9 (осталось) et 11 (жалость): je m’en accorde une aux vers 1 (Antoine) et 3 (victoire).
От тебя я сердце скрыла, Словно бросила в Неву… Прирученной и бескрылой Я в дому твоем живу. Только… ночью слышу скрипы. Что там – – в сумраках чужих? Шереметевские липы… Перекличка домовых… Осторожно подступает, Как журчание воды, К уху жарко приникает Черный шепоток беды – И бормочет, словно дело Ей всю ночь возиться тут: «Ты уюта захотела, Знаешь, где он – твой уют?»
J’ai caché mon coeur loin de ta vue, Comme jeté dans la Neva… Apprivoisée, les ailes rompues, J’habite maintenant chez toi. Mais… la nuit j’entends des grincements. Qu’y a-t-il dans l’obscurité? Les tilleuls frémissants sous le vent… L’appel de l’esprit du foyer… Pareil au bruit de l’eau qui ruisselle, Il s’approche à pas de voleur Et vient me susurrer à l’oreille, Le noir murmure du malheur – Il grommèle comme s’il devait Passer la nuit à chahuter: « C’est le confort que tu désirais, Eh bien alors, l’as-tu trouvé? »
Anna Akhmatova 1936
Pieds: 9/8 (original: 8/7) Vers croisés
Une foyer où l’on ne se sent plus en sécurité ? Mais c’est l’anémone des parents de Nemo!
Dans l’original, les tilleuls sont шереметевские, c’est à dire (du palais) de Cheremetiev: c’est là qu’Anna Akhmatova a habité plus de trente ans.
Dans le rôle de l’esprit du foyer, vous aurez reconnu le domovoï.