Из высоких ворот, Из заохтенских болот, Путем нехоженым, Лугом некошеным, Сквозь ночной кордон, Под пасхальный звон, Незваный, Несуженый, Приди ко мне ужинать.
Incantation
De sous les hautes portes-cochères, Des marais par-delà la rivière, Par des pistes jamais foulées, Par des prairies abandonnées, À l’insu des sentinelles, Pâques sonnants de plus belle, Spontané, Inespéré, Viens prendre le souper chez moi.
Anna Akhmatova 15 avril 1936
Pieds: 9/9/8/8/7/7/3/4/8 (original: 6/7/6/6/5/5/3/4/7) Vers croisés
Le poisson du jour a de larges blancs sur le dos, cette traduction aussi: beaucoup d’informations du poème ont été passées à la moulinette des rimes et des pieds. Les marais par-delà la rivière, ce sont les marais de l’Okhta. Les prairies abandonnées sont des champs pas fauchés. Les sentinelles sont un cordon (de police) nocturne. Inespéré, pour dire à l’improviste.
Comme il s’agit d’une incantation, j’ai essayé de privilégier le rythme et les répétitions, à la manière d’une formule magique.
И город весь стоит оледенелый. Как под стеклом деревья, стены, снег. По хрусталям я прохожу несмело. Узорных санок так неверен бег. А над Петром воронежским – вороны, Да тополя, и свод светло-зеленый, Размытый, мутный, в солнечной пыли, И Куликовской битвой веют склоны. Могучей, победительной земли. И тополя, как сдвинутые чаши, Над нами сразу зазвенят сильней, Как будто пьют за ликование наше На брачном пире тысячи гостей.
А в комнате опального поэта Дежурят страх и Муза в свой черед. И ночь идет, Которая не ведает рассвета.
Voronej
La ville est couverte de givre, tout est glacé. Les arbres, les murs et la neige mis sous verre. J’avance sur les cristaux d’un pas mal assuré. Des traîneaux colorés glissent, course précaire. Et perchés sur la statue de Pierre, des corbeaux, Des peupliers se dressent, des coupoles vert d’eau, Délavées et mates sous les grains de lumière; Les échos de la bataille de Koulikovo Résonnent toujours sur cette glorieuse terre. Et les peupliers, calices tendus vers le ciel, Entrechoquent leurs branches au-dessus de nos têtes, Tels les hôtes innombrables d’un banquet fraternel Buvant à la joie dans l’euphorie de la fête.
Mais dans la mansarde du poète disgracié, La peur et la Muse régissent en cadence. Et la nuit commence, Une nuit qu’aucune aube ne viendra soulager.
Anna Akhmatova 4 mars 1936
Pieds: 13/12/13/12//13/13/12//13/12/13/12/13/12//13/12/5/13 (original: 11/10/11/10//11/11/10// 11/10/11/10/11/10//11/10/4/11) Vers croisés; vers 5, 6 et 8 rimés; dernier bloc en xyyx
Le poisson-papillon cocher, comme rappel des traîneaux colorés mais surtout comme rappel à moi-même: impossible en traduction de cocher toutes les cases !
À choisir entre la véracité zoologique et le plaisir d’une allitération, j’ai suivi la voix de la raison. Adieu donc воронежским – вороны (voronezhskim – vorony: jouant sur la proximité phonétique de Voronej et les corbeaux). Et sur la statue de Pierre piaillent les moineaux… c’était une solution élégante, mais peut-on décemment remplacer des corbeaux par des moineaux ?!
Autre choix difficile dans les quatre derniers vers. Le terme disgracié ne me plaît pas, mais l’alternative est bancale: Cependant dans la chambre du poète en disgrâce, La peur et la Muse régissent en cadence. Et la nuit commence, Nuit qu’aucune aube ne viendra soulager, hélas.
J’ai pris le parti de rajouter deux pieds par rapport à l’original: le bilan est en demi-teinte, je me suis retrouvée à devoir gonfler des vers artificiellement.
Un Voronej pas encore tout à fait abouti.
Le Pierre de la statue est évidemment Pierre le Grand, le voilà ici en photo (sans volatiles autour: il a plus de chances que les lions sur la Piazza del Duomo à Milan).
En parlant de volatiles, il sont aussi cachés dans le nom de la bataille de Koulikovo !
Он, сам себя сравнивший с конским глазом, Косится, смотрит, видит, узнает, И вот уже расплавленным алмазом Сияют лужи, изнывает лед.
В лиловой мгле покоятся задворки, Платформы, бревна, листья, облака. Свист паровоза, хруст арбузной корки, В душистой лайке робкая рука.
Звенит, гремит, скрежещет, бьет прибоем И вдруг притихнет – это значит, он Пугливо побирается по хвоям, Чтоб не спугнуть пространства чуткий сон.
И это значит, он считает зерна В пустых колосьях, это значит, он К плите дарьяльской, проклятой и черной, Опять пришел с каких-то похорон.
И снова жжет московская истома, Звенит вдали смертельный бубенец… Кто заблудился в двух шагах от дома, Где снег по пояс и всему конец?
За то, что дым сравнил с Лаокооном, Кладбищенский воспел чертополох, За то, что мир наполнил новым звоном В пространстве новом отраженных строф,-
Он награжден каким-то вечным детством, Той щедростью и зоркостью светил, И вся земля была его наследством, А он ее со всеми разделил.
Le poète
Lui, de son oeil de cheval, comme il aime à le dire, Il louche, regarde, voit puis enfin comprend, Et tel un diamant fondu, on voit la flaque luire, La glace se fendre sous son regard ardent.
Dans la brume mauve somnolent des cours en vrac, Des quais, des tas de bois, des feuilles et des nuages, Le sifflet d’un train, des peaux de pastèque qui craquent, Gantée de cuir parfumé, une main trop sage.
Ça résonne, grince, gronde, déferle et puis là, Soudain, le calme revient – c’est parce qu’il veille, Avançant craintivement sous les pins, à ne pas Tirer l’esprit des lieux de son léger sommeil.
Et le calme revient, alors qu’il compte les grains Dans des épis vides ou alors quand, revenant D’obsèques, se dressent funestes sur son chemin La passe de Darial et ses murs menaçants.
De nouveau Moscou, sa langueur qui le fait brûler, Dans le lointain, la Mort fait tinter son grelot… Qui donc s’est égaré à quelques pas du foyer, Dans la neige jusqu’à la taille, mort, bientôt?
Parce qu’il compara fumée et Laokoon Et qu’il a chanté les chardons des cimetières, Parce qu’il a empli le monde d’un nouveau son Et tendu le miroir de ses strophes à la Terre,
Une enfance éternelle en guise de récompense, Généreux et le regard affuté sur tout, Il a reçu comme héritage le monde immense Et il le partage tout entier avec nous.
Anna Akhmatova 19 janvier 1936
Pieds: 13/12 (original: 11/10) Vers croisés
Le poète, de son oeil qui louche, nous donne un autre regard sur le monde. Le poisson du jour est pour certains un poisson-ange à tête bleue, pour d’autre un poisson-ange à front jaune (idem en anglais et en allemand): personne n’a tort, les regards sont différents.
Idem pour les cours en vrac qui ne sont en vrac que pour rimer avec les pastèques qui craquent ! L’original ne le précise pas, mais du vrac ne dépareille pas dans une arrière-cour.
Mea Culpa, lieber Heinz Czechowski: votre traduction du huitième vers « Schüchtern die Hand im duftenden Glacé » était tout à fait juste.
Le mot qui m’a donné du fil à retordre, c’était la лайка (laïka) odorante du huitième vers. La fameuse chienne de l’espace n’était pas née à l’époque et la piste du chien ne me convenait pas: il n’aurait pas été odorant (душистой) mais duveteux (пушистой) ! En bulgare, лайка veut dire camomille et j’ai soupçonné qu’il s’agissait de ça ici. J’aimais même beaucoup ma traduction:
Dans la brume mauve somnolent des cours en vrac, Des quais, des nuages, du feuillage et des billes, Le sifflet d’un train, des peaux de pastèque qui craquent, Une main timide cueillant la camomille.
Des quais, des nuages, du feuillage et des billes: je vois d’ici les yeux ronds… les billes (de bois) étaient la solution que j’avais trouvée pour traduire les rondins (бревна) et préserver la rime.
Il a fallu la perspicacité d’un collègue russe pour me mettre sur la piste d’un mot inconnu de mon dictionnaire: лайка, Glacé (en allemand), ou fin cuir de chevreau ! Herr Czechowski ne pensait donc pas à une glace, mais avait tout compris.
Et parce qu’un chien en cachait un autre: au XIIème siècle en Russie, on appelait cette sorte de cuir « cuir de chien » (собачкая)… parce que l’on utilisait des peaux de chien.
Pourquoi Laokoon (en quatre syllabes !) est-il comparé à une fumée ? La réponse doit se trouver dans un poème de Boris Pasternak, qui semble être le poète duquel parle ici Akhmatova.
J’appuie des deux mains et du front sur la vitre Ainsi, je touche le paysage, Je touche ce que je vois, Ce que je vois donne l’équilibre À tout mon être qui s’y appuie. Je suis énorme contre ce dehors Opposé à la poussée de tout mon corps ; Ma main, elle seule, cache trois maisons. Je suis énorme, Énorme… Monstrueusement énorme, Tout mon être appuyé au dehors solidarisé.
J’écris l’étroite maison rouge où passent des coulicous. Un homme avec une femme avec un enfant s’avancent dans un matin chargé d’impatientes. C’est un éveil à saveur de batture ; la largeur du ciel débonde la tête matinale. Il y a aussi le ventre du canot, son glissement de baume, la voie qu’il imprime dans le cœur. En contre-haut légèrement, la vie furtive du moqueur et son dernier tonnerre quand le renverse cet éclair épervier. Je ne parle pas. J’écris la saveur des premiers répertoires et dans le même souffle la plus dure flèche du carquois. J’écris ce qui chantait, ce qu’on attend au bord des fleuves, j’écris le claquement des canifs, l’escadrille qui fauche, j’écris un petit torse d’avenir, une poitrine consumée.
Je connais tout du Mouvement sans savoir que je suis si vivante
Que je suis le premier fragment de la danse l’aile encore pliée sur mes branches à respirer. La première flamme. La première musique. Je sais seulement le trajet des sons pour la rencontre des rythmes et l’avancée des siècles. Et pour tout ce déploiement d’air dans la poitrine.
Nouvelle ère sans soupçon mais d’extrême connivence et de couleurs insoupçonnées. Soulèvement d’oxygène qui défie la mort. Premier sentiment océanique. »
Marcher sur la plage jusqu’à l’extrême sud de la Nouvelle-Écosse, Débusquer des phoques aux jumelles, Sauter dans les rouleaux et manger des Lobster Rolls.
Pris et protégé et condamné par la mer Je flotte au creux des houles Les colonnes du ciel pressent mes épaules Mes yeux fermés refusent l’archange bleu Les poids des profondeurs frissonnent sous moi Je suis seul et nu Je suis seul et sel Je flotte à la dérive sur la mer J’entends l’aspiration géante des dieux noyés J’écoute les derniers silences Au-delà des horizons morts »
De l’île du Cap-Breton au Cap Split, le vent et les moustiques nous incitent à la pochade. On s’empiffre de crustacés (coquilles St. Jacques, homards) et de tarte au prune à croûte double. Les lupins de Pleasant Bay ont déjà fleuri, mais les roches et les marées de la baie de Fundy sont toujours là.
Québec, bordée par les larges flots du Saint-Laurent, La rivière Saint-Charles s’y fait toute petite, Elle ne fait ni la maline ni le poids face aux chutes Montmorency.
Au-bas de l’escalier Lépine (et ses banc suspendus brinquebalants), l’épine dans le pied du quartier St-Roch: le petit parc et la rue du Pont qui effrayent les ingénues sorties du Morrin College.
« …or je descends vers les quartiers minables bas et respirant dans leur remugle je dérive dans les bouts de rues décousus… »: ces vers de Gaston Miron semblent de circonstance.
Oh! qui me rendra ma piscine, et mon hôtel sur la colline ? Oh who will give me back my piscine, and my hotel up on the hill?
Ô ! spacieux loisir! Fontaine intacte Devant moi déroulée À l’heure Où quittant du sommeil La pénétrante nuit Dense forêt Des songes inattendus Je reprends mes yeux ouverts et lucides Mes actes coutumiers et sans surprises Premiers reflets en l’eau vierge du matin. La nuit a tout effacé mes anciennes traces. Sur l’eau égale S’étend La surface plane Pure à perte de vue D’une eau inconnue. Et je sens dans mes doigts À la racine de mon poignet Dans tout le bras Jusqu’à l’attache de l’épaule Sourdre un geste Qui se crée Et dont j’ignore encore L’enchantement profond. »
À peine avions-nous échappé au « divorce boat », le kayak à deux places, voilà que le chant du bruant allait donner lieu à des discussions sur le rythme… il y avait une raison à cela, c’est la faute à la mode (et aux femelles, comme d’hab). Article plus complet (en anglais) sur cette mode musicale chez les white-throated sparrows.
Quelque chose en avant comme la ville la peau parcourue à l’ombre des buildings attendre quant aux géographies amoureuses que ce texte du savoir et des saveurs ne cache jamais ou trop le désordre des cerveaux cigarettes précises ou drague inconsolable que la ville inédite rend mon corps périlleux puisque émeute d’âmes quelque chose dans l’été lisse le début de l’amour car klaxonnements et bruissements : c’est la perte de mon identité.
Montréal, ça commence sur le Mont Royal, pour voir le soleil se coucher encore plus à l’ouest et voler les vers-luisants. Montréal, c’est la joie de manger un bagel à l’aube, en regardant filer un raton-laveur gris et gras. Montréal, ses cookies, ses façades, ses ruelles vertes et fleuries.
Fairmount Bagel, 74 Av. Fairmount O
Café Différance, 449 Av. Viger O
Bar Darling, 4328 Boul. Saint-Laurent
Librairie Le port de tête, 222 Avenue du Mont-Royal