Fish Stikh 2: nommer les couleurs

Жарко веет ветер душный,
Солнце руки обожгло,
Надо мною свод воздушный,
Словно синее стекло;

Сухо пахнут иммортели
В разметавшейся косе.
На стволе корявой ели
Муравьиное шоссе.

Пруд лениво серебрится,
Жизнь по-новому легка…
Кто сегодня мне приснится
В пестрой сетке гамака ?

Le vent chaud souffle de tout son poids,
Le soleil grille mes cheveux,
Et le ciel au-dessus de moi
Est une voûte de verre bleu.

Le parfum sec des immortelles
Au passage de la faux.
De noires fourmis en ribambelle
Prennent un sapin d’assaut.

L’étang scintille nonchalamment,
La vie redevient légère…
De qui rêverai-je, couchée dans
Le hamac bleu, jaune et vert ?

Anna Akhmatova,
Janvier 1910, Kyiv

Pieds: 8/7


Le hamac bleu, jaune et vert: ça aurait pu être bleu, blanc et vert, aux couleurs de mes cahiers de cet été, ou noir rouge et vert
La traduction fidèle serait les mailles bigarrées du hamac, mais ça ne rimait pas avec légère.

On parle toujours des poissons colorés des récifs coralliens:

Nommons-les, ces couleurs,
Pour leur faire honneur !

Pieds: 6/5

Carangue bleue, fani handhi, 60 cm

Tamarin bicolore, kalhali thunbodu hikaa, 50 cm

Poisson-ange à tête bleue, boa reendhoo kokaamas, 40 cm


Fish Stikh 1: changer de forme

На столике чай, печения сдобные,
В серебряной вазочке драже.
Подобрала ноги, села удобнее,
Равнодушно спросила: «Уже ?»
Протянула руку. мои губы дотронулись
До холодных гладких колец.
О будущей встрече мы не условились.
я знал, что это конец.

Sur la petite table, du thé, des pâtisseries,
Des dragées dans une coupelle en argent.
Ramenant les jambes sous elle, elle s’avachit
Et dit d’un ton las: « Est-il temps ? »
Elle tendit la main. Mes lèvres frôlèrent le coin
De ses anneaux lisses et glacés.
De prochain rendez-vous nous ne fixèrent point,
C’était fini, je le savais.

Anna Akhmatova
9 novembre 1910, Kyiv


Pieds: 12/10/11/8/12/8/11/8
(original: 10/9/11/9/14/8/12/7)


Le coin de ses anneaux: pour les besoins de la rime (bord ne rimant pas avec point), un oxymore est apparu, qui souligne le caractère hostile des anneaux en question et surtout de la main qui les porte.

Chez certains poissons aussi, la frontière entre rond et carré est mince: étant en temps normal de la forme d’un carton à chaussures avec des nageoires, ils peuvent se gonfler comme un ballon, pour éviter d’être avalés, par exemple.

Poisson-coffre pintade, gonu, 20 cm


Poisson porc-épic à taches auréolées, kashi koli, 45 cm

Qu’est-ce qui est plus mignon qu’un poisson porc-épic ? Deux poissons porc-épic !

Fish Stikh: introduction

Poisson-cocher grégaire, dhidhamas bibee, 18cm

Stikh: trancription du mot russe стих, le vers

Classiquement, on accompagne le poisson de pommes de terre vapeur, de riz ou de frites.
Les dessins de poissons, en revanche, s’accordent à merveille avec la poésie. C’est ce qui a fait le sel et le délice des dernières vacances à Filitheyo.

Il y a sûrement des fautes dans mes traductions des poèmes d’Anna Akhmatova. D’autre part, je me suis permis certaines libertés, le but étant de respecter autant que possible les pieds et les rimes.


On sait depuis South Park que les Fish Sticks sont à l’origine de la blague la plus drôle du monde.

Akhmatova, Requiem-2


(début et références ici)

En guise d’introduction

Durant les terribles années de la Iejovchtchina, je passais dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Leningrad. Un jour, quelqu’un me reconnut. Alors, debout derrière moi, une femme aux lèvres bleuies sortit de la torpeur qui nous saisissait tous. Elle me demanda à l’oreille (là-bas tout le monde chuchotait):

-Et ça, vous pouvez l’écrire ?

Je répondis:

-Je peux.

Quelque chose de l’ordre d’un sourire glissa alors sur ce qui, un jour, avait été son visage.

1 avril 1957.
Leningrad


Вместо предисловия

B страшные годы ежовщины я провела семнадцать месяцев в тюремных очередях в Ленинграде. Как-то раз кто-то « опознал » меня. Тогда стоящая за мной женщина с голубыми губами, которая, конечно, никогда не слыхала моего имени, отчнулась от свойственного нам всем оцепенения и спросила меня на ухо (там все говорили шепотом):

-А это вы можете описать ?

И я сказала:

-Могу.

Тогда что-то вроде улыбки скользнуло по тому, что некогда было ее лицом.

1 апреля 1957 года.
Ленинград.


sur la place de l’adjectif

Akhmatova, Requiem-1



Non, je n’étais ni sous un ciel étranger,

Ni abritée par des ailes étrangères,

Je me trouvais en ces heures avec mon peuple,

Là où, hélas, mon peuple se trouvait.


Traduction (provisoire) de ces vers d’Anna Akhmatova, tirés de Requiem:

Нет, и не под чуждым небосводом,

И не под защитой чуждых крыл, –

Я была тогда с моим народом,

Там, где мой народ, к несчастью, был.


But: respecter le rythme (10-9-10-9, qui passe à 11-10-11-10), et les répétitions de чуждым, была et народом.


Illustration d’après une photo de Leningrad dans les années 1920-1930, trouvée ici.